Sunday, April 24, 2016

Architecture, philosophie et sociologie : Comment Israël restructure l'espace géographique au détriment de la population palestinienne à travers trois exemples

Lors d'un voyage en Palestine, dans le cadre du jumelage entre la ville d'Hennebont (Bretagne, France) et celle de Halhul (Palestine), nous avons visité le musée de l'art islamique à Jérusalem, le 7 avril. Nous nous sommes rendus compte de l'impact que peut avoir la structuration urbaine sur des métiers que l'on pourrait penser moins touchés, les taxis. Au retour du musée, alors que le voyage à l'aller s'était fait avec un chauffeur palestinien sur une distance plutôt longue, le trajet a été bien plus court : le chauffeur, israélien cette fois (le musée est situé dans Jérusalem-ouest) a emprunté les petites rues de Jérusalem, y compris dans la vieille ville, dont l'entrée est contrôlée par des barrières automatiques qui n'auraient sans doute pas laissé passer le chauffeur palestinien. Anecdote sensiblement banale, mais représentative des difficultés que peuvent avoir les Palestiniens à se mouvoir sur leur propre territoire1.

Nous avons visité le 11 avril l'association EcoPeace Moyen-Orient, une organisation non-gouvernementale créée en 1994 et qui regroupe des écologistes de Jordanie, de Palestine et d'Israël. Cette association est chargée de la mise en place de systèmes de traitement des déchets et de l'eau, ainsi que de l'éducation à ce sujet et de la valorisation de projets aidant ce but, particulièrement dans le bassin de la rivière Jourdain2. La partie sud de cette rivière est alimentée par le lac de Tibériade, lui-même alimenté principalement par le Mont Hermon et trois sources, Hasbani, Banias et Dan. La rivière avait autrefois un flux de 1,3 milliards de mètres cubes d'eau par an (son nom en arabe, « Cheria », signifie l'« Abreuvoir »). En 1964, après onze ans de travaux et un conflit israëlo-syrien — conflit précurseur de la guerre de Six Jours de 1967 —, Israël achève la construction d'une série de canaux et de conduits, regroupés sous le nom de Conduit national (National Water Carrier, N.W.C.). EcoPeace estime que 93 % de l'eau est ainsi divertie, principalement via le Conduit national (depuis la guerre des Six Jours, Israël contrôle une grande partie du bassin du Jourdain et de ses sources), vers les colonies du sud Israël (au nord du désert du Néguev), laissant seulement 100 millions de mètres cubes d'eau s'écouler vers la mer Morte. Cette accès limité à l'eau oblige les populations (palestiniens, bédouins...) à imaginer de nouvelles manières de retraiter les eaux usées, alors que le climat est de plus en plus sec et les infrastructures souvent en très mauvais état. L'accès lui-même à la rivière, considérée zone militaire, s'il a permis en partie de protéger l'habitat naturel, a aussi rendu ses abords extrêmement pollués car utilisés comme une décharge publique et déversoir des eaux usées. Nous en avons eu un exemple lors de notre pique-nique sur les bords de la rivière al-Auja.

Enfin, si ce n'est pas à proprement parler une chose que nous avons pu constater lors de notre voyage d'avril, il est nécessaire néanmoins d'évoquer l'exemple marquant du camp de Jénine, en 2002. À partir du mois de mars 2002, en réponse à des attaques palestiniennes — la seconde intifada lancée en septembre 2000, « intifada el-Aqsa » en référence à la mosquée de Jérusalem — l'armée israélienne (F.D.I., Force de Défense Israëlienne) lance l' « Opération Rempart », ciblant les villes de Ramallah, Naplouse, Bethléem, ainsi que les camps de réfugiés de Jénine, Balata et Tulkarm. À Jénine en particulier les soldats de l'armée ont non seulement abîmé les bâtiments en traversant des rues trop étroites en véhicules blindés, mais ils ont rasé dans le quartier de Hawashin plus de 140 bâtiments (plus de 200 autres bâtiments ont été gravement endommagés), laissant, selon Human Rights Watch, « environ 4.000 personnes sans abri, soit le quart de la population3 ». Les soldats ont progressé dans le camp en utilisant une méthode relativement récente dite de « géométrie inversée », en « marchant à travers les murs » des habitations. Au lieu d'utiliser les rues existantes, les espaces publics, l'espace privé — murs, plafonds, sols des habitations — devient l'espace public et la ville n'est plus simplement le lieu des affrontements, mais le moyen lui-même de ces affrontements. Eyal Weizman, architecte, en parle longuement dans un livre, Hollow Land: Israel's Architecture of Occupation4.


Plus de lecture :


1Voir aussi, bien sûr, les problèmes de déplacement liés aux checkpoints, aux cartes d'identité et aux zones géographiques accessibles en fonction de celles-ci.
2EcoPeace, Projet : Réhabilitation de la rivière Jourdain (en anglais), http://foeme.org/www/?module=projects&record_id=23
3HRW News, Israël/Territoires occupés: nécessité d'une enquête sur les crimes de guerre commis à Jénine, 3 mai 2002, https://www.hrw.org/legacy/french/press/2002/israel0503.htm
4Eyal Weizman, Hollow Land : Israel's Architecture of Occupation, éditions Verso, mai 2007 [un extrait, en anglais] ; un long passage du livre a été traduit en français : À travers les murs : l'architecture de la nouvelle guerre urbaine, aux éditions de La Fabrique, paru en mars 2008.